L'interview de Lucie, artisane fleuriste et fondatrice du Jardin de Lucette

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Cette semaine, j'ai eu le plaisir d'interviewer Lucie, artisane fleuriste et fondatrice du Jardin de Lucette, une boutique intimiste où l'on trouve des bouquets naturels qui rappellent des champs colorés où l'on aimerait se promener. 
J'avais rencontré Lucie chez Slow il y a quelques années et par un heureux hasard, le jardin de Lucette se trouve à quelques pas de la boutique dans le même quartier de la Bourse. De toute façon, c'est le quartier où il faut être n'est-ce pas?:)
Crédit photo: Céline Zed
1) Lucie, enchantée, peux-tu te présenter? Pour quelle(s) raison(s) as-tu choisi d'être artisane fleuriste? Et peux-tu nous expliquer davantage ton métier? 

Je vis et travaille au cœur de Toulouse. Cela fait 4 ans que j'ai ouvert ma boutique "Le jardin de Lucette", clin d'œil à mon arrière grand-mère Lucette, comme une invitation dans les jardins de nos enfances.
 
Ma reconversion, il y a huit ans, pour le métier d'artisane fleuriste m'a paru être une évidence. Se former à un savoir-faire exigeant, appréhender la transformation des végétaux et leur conservation en mêlant connaissances botaniques, m' a complètement passionné. 
 
J'avais besoin de partager ça, dans un lieu intimiste, qui évolue au rythme des saisons en lien avec mes valeurs d'échange et de lien social d'un commerce de proximité.
 
Très vite, j'ai aimé ce rapport particulier et sensible qu'à l'humain avec les fleurs et les plantes. Acheter des fleurs c'est transmettre de nombreuses émotions. Mon rôle est d'accompagner mes client.e.s dans les émotions qu'ils veulent partager. Offrir des fleurs c'est un geste important socialement. Pour moi être artisane, mon rôle est de mettre à profit mon savoir faire pour traduire les différentes émotions que transmettent les fleurs, mettre en valeur la beauté de la nature avec simplicité et passion.
 
La beauté de chaque fleur est unique, éphémère et suive les saisons. Cette poésie me touche particulièrement. Il y a aussi, tous les événements d'une vie qui sont célébrés par ces créations florales, de la naissance, au mariage... mais aussi le recueillement.  
 
Mon métier est délicat car il faut travailler avec la fragilité du vivant. Dans un environnement urbain, végétaliser des espaces, que cela soit intérieur ou extérieur, nous permet d'y mettre de la vie, de recréer des micros écosystèmes, en se reconnectant par le vivant. Il me semble ainsi important de proposer des plantes qui poussent très bien dans nos intérieurs et qui nous aident à préserver notre bien-être, lorsqu'elles absorbent certains polluants par exemple, qui nous rendent de bonne humeur et qui nous aident à nous apaiser. Cette reconnection avec la nature est aussi nécessaire dans nos espaces intérieurs et intimes, avec l'envie de placer sous nos yeux, dans notre chez soi, de la sensibilité, de la beauté et de la poésie.
 
 
2) Ce métier rencontre-t-il des défis particuliers en matière d'écologie? Comment essaie-tu de trouver l'équilibre face à ces défis? 
 
Historiquement, la grande majorité de la filière horticole n'échappe pas à la production industrielle avec tout ce qu'elle implique en aberration environnementale et sociale. Le plus gros de la production provient de l'étranger, afin d'avoir une multitude de variétés, tous les mois de l'année, et ainsi de répondre à une logique de profits.
 
Heureusement, depuis quelques années certain.e.s acteur.ice.s de la fleur s'engagent pour une production plus respectueuse de l'environnement et de l'humain. Des fermes florales se sont créées dans la région, qui produisent des fleurs de façon raisonnée ou en bio et en circuit court. Nous avons également la chance d'avoir de très belles productions de fleurs et feuillages dans le sud est de la France ou encore en Italie.
 
Une production plus raisonnée implique de produire moins, avec plus de perte (car moins ou pas de pesticides), de travailler de nombreuses heures, ce qui induit fatalement un coût plus élevé que le client au final n'est pas toujours en mesure d'assumer ou d'accepter. Le changement est enclenché vers une horticulture plus respectueuse de tous, mais pour l'instant, la demande du consommateur ne permet pas de pérenniser et globaliser cette activité. Cet acte d'achat, aujourd'hui, simplement plus respectueux, nécessite plus de la pédagogie et d'accepter de suivre les saisons, et donc les productions raisonnées.
 
Dans ma sélection de fleurs proposée à la boutique, la priorité est donnée aux fleurs françaises et italiennes, mais l'hiver, l'offre de mes fournisseurs est encore trop restreinte pour satisfaire tous mes client.e.s. J'essaie d'équilibrer les attentes des client.e.s et mes valeurs personnelles. C'est aussi un vrai travail de pédagogie avec les client.e.s. Je propose une sélection de fleurs plusieurs fois par semaine, assurant une fraîcheur des produits mais aussi une réelle réflexion sur la fleur de saison et la maîtrise des stocks. Nous avons tous une responsabilité et un engagement à porter pour faire évoluer toute la filière.
 
3) C'est un métier très ancien. Est-ce que tu constates de grands changements ces derniers temps? (comportement d'achat, changement dans la filière...)
 

Comme dans plusieurs secteurs, l'offre s'est fortement "centre-commercialisée". Le métier d'artisan, avec une petite boutique, un lieu de vie dans nos centre villes mais aussi nos campagnes se fait plus rare. Sans parler, des événements de ventes éphémères, dans de grande surface en centre ville, qui mettent aussi à mal toute une profession, celle ci pas éphémère, mais bien présente toute l'année dans la ville. 
 
C'est ainsi difficile de concurrencer ces acteurs, bénéficiant de prix négociés sur des très grandes quantités, sans un loyer et des charges annualisés.... Mais au final, ce sont bien les petites boutiques qui contribuent à rendre vivante nos rues de notre belle ville rose. Pour revenir sur les produits, en supermarché ou dans de grandes enseignes, les fleurs ou plantes n'ont pas été sélectionnées, et bien souvent malmenées. Le problème est bien plus généralisé, s'appliquant à tous les autres secteurs. Nous devons chacun ralentir nos modes de consommation, dans une logique environnementale, bien sûr, mais aussi pour y retrouver du sens, de la joie et retrouver simplement le plaisir de mieux offrir à soi et aux autres. 
 
Malgré toutes ces initiatives de déshumaniser la filière, à travers ces nouveaux actes d'achats, le cœur de notre métier reste la transmission, le conseil, l'échange et la création d'émotions. Il y a bien sûr les commandes, via internet également, mais rien n'est comparable à une expérience en boutique, avec les odeurs, le toucher, le choix des couleurs si important quand on confectionne un bouquet ou que l' on choisit une plante. Cela permet aussi de contribuer à la vie du quartier dans une démarche responsable. Le choix d'ouvrir une boutique de quartier n'est pas anodin. Cela permet d' échanger, créer du lien, les fleurs accompagnent tous les moments d'une vie. C'est réellement ce qui donne du sens à mon métier.
 
Ce métier est en effet très ancien. Les fleurs, les plantes font appel à nos souvenirs, aux balades des vacances, au jardin de nos grands parents, aux souvenirs de bons moments en famille, à des œuvres artistiques.... Elles nous inspirent, nous rendent de meilleure humeur, font toujours plaisir à être offerte, placer le lien social au cœur de mon travail est primordial. Les budgets des consommateurs sont bien sûr impactés par l'inflation croissante actuelle, comme l'augmentation de l'achat de nos productions de végétaux également. Notre métier est aussi de désacraliser ce comportement d'achat. Nous choisissons ensemble les fleurs, en fonction de votre budget et des émotions que vous voulez transmettre. Cette conjoncture peut aussi permettre de se faire plaisir simplement, en introduisant du vivant chez vous et chez les autres. Consommer mieux est une nécessité, comme retrouver la notion de plaisir en se reconnectant aux choses simples. Je crois à la force collective, aux prises de conscience et à toute la passion que chaque artisan.e met dans leur petite boutique. 
 
4 ) Nous conseilles-tu des podcasts, des livres qui t'inspirent en ce moment? 
 
La préparation des fleurs et la réalisation des compositions demandent du temps, j'affectionne de prendre ces moments en musique, mais aussi en écoutant des podcasts inspirants :
 
Le podcast "vivons heureux avant la fin du monde" sur Arte radio qui veut alerter, éveiller et rassurer sur un autre monde possible.
Le livre "le cœur sur la table" sur les dominations en tous genres et une réflexion sur de nouveaux modèles pour vivre de façon plus égalitaire.
Le podcast "Sous la robe" de Zazie Tavitian qui questionne des vigneron.e.s sur l'aspect environnemental et social dans la viticulture.
Et enfin le journal indépendant Reporterre pour toutes les questions liées à l'écologie de façon plus globale.

Merci Lucie de nous avoir fait découvrir ton métier et toutes les facettes qui l'animent! Voici le site de Lucie: Le Jardin de Lucette

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